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Nombre de démarches actuelles visant à impliquer les acteurs locaux dans la gestion des ressources naturelles reposent sur des présupposés qui faussent une collaboration potentiellement efficace entre populations locales et institutions en charge de la mise en place de dynamiques de co-gestion durable de ces ressources. Les sociétés insulaires du Pacifique sont communément décrites sous un angle simpliste les présentant comme homogènes et culturellement en harmonie avec leur milieu. Cette vision qui renvoie au mythe du « bon sauvage » directement hérité du siècle des lumières, est réactualisée par les organisations internationales sous la dénomination galvaudée de « communautés locales ». Leur état de « nature » leur confèrerait d’emblée une sagesse et un savoir-faire adaptés à une gestion durable de leurs ressources qui implique une conception de la gouvernance se résumant à un simple transfert de compétences décentralisées. Or les sociétés insulaires locales sont hétérogènes, dynamiques et contemporaines. Hétérogènes car constituées de groupes sociaux en perpétuelle concurrence. Dynamiques car en mutation rapide à l’heure actuelle. Contemporaines car, loin de vivre repliées sur elles-mêmes, elles montrent une propension importante à internaliser toutes les opportunités qui permettent d’agir dans le jeu social local : instrumentalisation des projets de développement et des positions administratives, utilisation des réseaux religieux et politiques, recours aux technologies modernes, etc. Les villages ou tribus océaniens sont des constructions coloniales de groupes sociaux différents rassemblés autour d’un lieu de culte (église ou temple). Ces groupes sociaux appartiennent en fait à des organisations en réseaux coutumiers répartis dans plusieurs villages. Cette caractéristique est la base d’un jeu local éminemment complexe mêlant les allégeances et alliances coutumières, les influences religieuses et les opportunités qu’offrent la politique et l’organisation administrative locale ou territoriale. Face à cette complexité, les processus de gestion intégrée doivent s’appuyer sur une conception moins naïve et plus pragmatique de la gouvernance, reposant sur une compréhension plus approfondie des stratégies d’acteurs permettant une meilleure adaptation des outils et une réelle interaction entre acteurs locaux et acteurs institutionnels. Le programme CRISP1 cherche à développer cette conception de la gouvernance en matière de gestion côtière intégrée dans laquelle les populations locales doivent jouer un rôle « négocié » prenant mieux en compte les fondements de leur organisation culturelle. A cet effet, le projet GERSA2, mis en œuvre par l’Unité ESPACE3 de l’IRD, joue un rôle transversal dans la composante 1 du CRISP qui englobe la gestion d’Aires Marines Protégées. L’analyse approfondie des sociétés locales sous les angles de la géographie culturelle et de la socio-économie est pleinement intégrée à la mise en œuvre d’outils opérationnels garantissant l’implication totale des acteurs locaux dans tout le processus de gestion, y compris les processus techniques. Cette démarche répond à la prise de conscience que la conservation de la nature ne peut être dissociée de la prise en compte de facteurs tels que la représentation culturelle que les usagers en ont et les enjeux d’usage dont elle fait l’objet.